L’hydrogène est la seule solution pour réduire les émissions carbone des secteurs intensifs en énergie

Ressource majeure de transition énergétique, très attendu dans le secteur clé des transports, l’hydrogène reste cher à produire, en particulier dans sa déclinaison bas carbone. Quelles dynamiques lui garantiront de devenir accessible et compétitif ? Éléments de réponse avec Carine Sebi, enseignante-chercheuse à Grenoble École de Management (GEM) et Pierre-Étienne Franc, directeur de l’activité mondiale Hydrogène Énergie d’Air Liquide.

La crise du Covid-19 laisse augurer un possible retour en force de la voiture individuelle au détriment des transports collectifs.

Un tel scénario pourrait-il compromettre le passage à l’hydrogène, la production étant encore trop faible par rapport aux besoins en matière de mobilité ?

Carine Sebi : À court terme, peut-être va-t-on assister à un tel phénomène. J’ose néanmoins espérer qu’un retour à la normale concernant l’usage des transports collectifs interviendra au bout d’un an. La transition énergétique, elle, se déroule sur un temps plus long. L’usage du dihydrogène (H2) actuellement favorisé dans les transports concerne surtout les flottes d’entreprise, le fret routier ou les bus. La donne ne devrait donc pas fondamentalement changer.

Pierre-Étienne Franc : La crise devrait justement renforcer l’exigence de qualité des services de transports collectifs. Par ailleurs, il n’y a pas d’annonce de réduction des ambitions sur la qualité de l’air dans les villes. Beaucoup craignent que tout reparte comme avant la crise sanitaire. Or, si on fait le parallèle avec la crise financière de 2008, on se rend compte qu’il n’y avait pas, à l’époque, le moindre débat sur l’enjeu d’une reprise plus durable. Certes, il n’y aura pas de grand soir de la transition énergétique mais de vraies conditionnalités aux aides de l’État interviendront, comme le cas vient de se vérifier pour Renault et Air France. Les contreparties environnementales sont bien plus importantes qu’auparavant.

Aujourd’hui, quels sont les principaux freins au développement du marché de l’hydrogène ?

Carine Sebi : La chaire « Energy for Society » de GEM, que je dirige, a initié un travail de terrain dédié à l’étude de nouveaux services énergétiques, dont certains liés à la mobilité hydrogène bas carbone. Les freins observés doivent d’abord à la jeunesse de la filière et, logiquement, à une production encore faible. L’offre étant limitée, les prix sont élevés et une réglementation reste à inventer. Certains acteurs de la filière hydrogène nous confient aussi que leurs véhicules sont peu ou mal connus du grand public, l’hydrogène pouvant être associé par celui-ci à une « mini-bombe ». Lever le dernier frein consistera à trouver des consommateurs convaincus, qui accepteront à ce stade de s’engager dans l’achat de véhicules alors même que ceux-ci ne sont pas construits et que les infrastructures n’existent pas.

Pierre-Étienne Franc : Des débuts de réseaux apparaissent malgré tout. Plus de 130 stations sont en service au Japon, une soixantaine en Corée, environ quatre-vingt-dix en Allemagne, une cinquantaine en Californie et en Chine.

Par comparaison, en France, il y en a à peine vingt, dont quatre stations destinées aux véhicules légers, aux taxis et aux utilitaires. Bien que peu nombreux, ces débuts de réseaux permettront d’accompagner les déploiement futurs.

Notamment lorsque des utilisateurs professionnels voudront tester des voitures avec une bonne expérience client de l’usage électrique à hydrogène, incluant une autonomie proche des véhicules thermiques et un temps de recharge très court, de trois minutes en moyenne.

Comment favoriser une production à la mesure des enjeux climatiques – autrement dit non-polluante – et qui en supportera le coût ?

Pierre-Étienne Franc : Pour que l’hydrogène décolle, beaucoup de changements sont à opérer d’emblée. Outre déployer des infrastructures ad hoc, rentables à terme mais coûteuses au départ, il importe, si l’on veut diminuer les émissions carbone, d’injecter dans le système de l’hydrogène bas carbone, plus cher à produire que de l’hydrogène « classique ».

L’hydrogène apparaît compétitif à l’horizon des dix ans à venir sous réserve que l’augmentation des volumes suscite la baisse des prix. Or, pour favoriser le recours à l’hydrogène bas carbone, un signal prix est indispensable : il faut que la valeur liée au caractère bas carbone de l’hydrogène soit reconnue dans le prix. Soit en imposant par des directives européennes ou nationales au client final d’assumer une part de sa production bas carbone qu’il devra donc payer. Soit en accompagnant cette production d’une vraie politique de soutien, fiscale ou financière.

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